lundi 11 décembre 2017

"De la vue sur les Champs Élysées aux ruelles de Montréal", un témoignage d'Ariane.




De la vue sur les Champs Élysées aux ruelles de Montréal

Si vous regardez bien à travers la foule des touristes, vous devriez l’apercevoir. Elle marche le nez droit, d’un pas assuré et rapide sur ses talons de 10 centimètres. Elle a l’air sûr d’elle, avec sa mallette à la main. Une « business girl », c’est certain. De plus près, on peut voir son maquillage discret et naturel, ses bijoux de qualité, sa coupe qui ne doit pas être bon marché, et son tailleur jupe impeccable.

De toute façon, elle est la seule à cette heure de la journée à tourner le dos au monument des Champs Élysées. Elle fonce vers une entrée discrète à côté de la porte d’un restaurant étoilé. 
Je m’appelle Ariane et j’ai 33 ans. Je travaille dans la finance auprès des particuliers. Un genre de gestionnaire de fortunes privées, en quelque sorte, et dans mon métier l’habit fait le moine alors j’évite les fausses notes. Tailleurs achetés directement en Italie, chaussures à talons exclusivement, je ne sors jamais sans m’être douchée, parfumée, maquillée, bijoutée, coiffée etc, et ceci 6 jours par semaine. 

Le succès, le vrai. Une métro-sexuelle, célibataire, dévouée à sa carrière dans toute sa splendeur, et sans états d’âmes. Je l’ai bien mérité après mes longues années d’études. À moi les bons restaurants, les bons quartiers de Paris, les bons collègues, les bons vins, les bonnes sorties et le champagne qui coule à flot.

Mais depuis quelques temps mon visage accuse la fatigue. Mes grasses matinées du dimanche ne me suffisent plus. J’avais l’habitude de compter les soirs où je rentre chez moi mais depuis quelques mois, je voudrais rentrer plus souvent. Mon canapé me semble appelant alors que je m’en fichais éperdument avant. Je me transforme en princesse aux petits pois. Il y a toujours un truc qui me dérange la nuit et je « pitourne » dans mon lit sans comprendre.

Je m’appelle Ariane et j’ai 35 ans. Je suis officiellement fibromyalgique, et je me gave de médocs. Je me sens soulagée parce que dans le fond, je ne croyais pas vraiment à la théorie du burn out. Pas moi. Pas en plein essor. Impossible d’arrêter un train à pleine vitesse. Je veux bien prendre mes anti douleurs mais mon travail, c’est ma vie. Regardez par vous-même : je n’ai même pas une paire de jeans dans ma garde-robe tellement je ne sais pas ce que veut dire un jour de repos. Mon frigo me renvoie de l’écho et je me demande même si le pressing ne prendrait pas mes culottes en plus du reste de mon linge pour m’éviter d’avoir à lancer une lessive.

Je m’appelle Ariane et j’ai 38 ans. Je prends l’avion dans 2 jours. Ma sœur a acceptée de m’héberger chez elle car je ne sais plus vers qui me tourner. Je dors 18 heures par jour et je n’arrive plus à changer les draps de mon lit sans m’effondrer direct dedans, d’épuisement. J’ai dû avouer à mon associé que je suis au bord du suicide et que je dois arrêter de travailler. Je lui donnerai toutes mes parts de l’entreprise pour qu’elle survive à mon départ. Je m’excuse sans pouvoir cesser de la laisser tomber aussi brusquement mais je n’en pouvais plus de mentir. Les faux rendez-vous à l’extérieur pour rentrer chez moi dormir 2 heures, les erreurs sur les dossiers clients, la compta qui part à l’envers, et moi qui recalcule 4 fois avec toujours un autre résultat. J’ai laissé tomber mes amis pour réussir à travailler. Maintenant, je dois laisser tomber le travail pour réussir à survivre. J’ai bien essayé de demander de l’aide aux parents, mais le déni s’est installé. Il ne peut pas y avoir une personne handicapée dans la famille !! Impossible. Chez nous, on se lève pour guérir et l’énergie vient en travaillant. Et puis l’encéphalomyélite myalgique n’est pas vraiment une maladie. Rien qu’un bon psychiatre des beaux quartiers ne pourrait soigner ! Mais je n’ai plus le temps de négocier le soutien de mes proches. Mes finances sont à 0, et si je reste dans mon super logement de cadre supérieur, je vais droit à la rue. Pas de sécu (aide sociale) pour moi qui ai choisi d’être travailleuse autonome. 

Comme je n’ai pas de bras pour faire mes cartons, ma sœur vient me récupérer chez moi pour m’emmener à Montréal. Je ne serais plus une grande fille indépendante.

Je m’appelle Ariane et j’ai 40 ans. Je ne peux plus prendre ma douche tous les jours. Je dors 12 heures par nuit, et j’en passe au moins 15 au lit. Je ne vais nulle part où il faut marcher plus de 10 minutes, je ne sors plus jamais s’il y a de la musique, des cris d’enfants, de la lumière trop vive, trop de personnes en même temps, trop de sollicitations, trop de vie quoi…

Je porte des talons plats et des tenues sport confortables et élastiques à cause de mon bedon qui me fait souffrir. Je ne porte plus de maquillage parce que je transpire à toutes les saisons dès que je fais le moindre effort, alors à quoi bon ? J’ai revendu mes plus beaux bijoux pour payer les frais de réparation de ma voiture et conserver le peu d’indépendance qu’il me reste. Je n’ai jamais retravaillée et je reste 80% du temps encabanée. 

Je suis chanceuse. Je fais partie des 20% de ceux qui peuvent fonctionner !!


Ariane

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